La colère Badinter. Le Conflit, la femme et la mère d'Elizabeth Badinter

Publié le par Mélanie Duwat

badinter.jpgRarement une polémique concernant un essai féministe aura occupé une si longue séquence médiatique. Sorti le 10 février, le coup de gueule éditorial d’Elizabeth Badinter, Le conflit, la femme et la mère (Flammarion), squatte autant la tête des ventes que les conversations enflammées.

 En théorisant le retour à une maternité idéalisée que l’on devrait à la diffusion massive des thèses naturalistes d’inspiration écologiste, la philosophe a ouvert un nouveau front dans la guerre de tranchées féministe.

On trouve bien chez les anti Badinter les habituelles critiques du féminisme politique : une « lubie » de grandes bourgeoises qui ignorerait le véritable enjeu de l’émancipation qu’est la précarité dévoilée par l’autre carton éditorial du moment signé Florence Aubenas*.

Il y a aussi, encore et toujours, les attaques ad nominem. Elizabeth Badinter, héritière du fondateur de Publicis et actionnaire du géant publicitaire serait l’alliée hypocrite de misogynes annonceurs. Elle bénéficierait en outre de la bienveillance contrainte de médias ultra dépendants de la pub, dénoncent en cœur Backchich et Marianne.

Rien de bien neuf, en somme, pour celle qui trace depuis trente ans son propre sillon dans l’éparpillé féminisme français, questionnant inlassablement une maternité glorifiée et surpuissante, une parité non républicaine et déplorant une constante et revancharde victimisation des femmes.

Verts comme réactionnaires : sus à Badinter !

elisabeth-badinter.jpgSi ce n’est les nouveaux meilleurs ennemis de Badinter qui font à son bouquin, à force de pousser des cris d’orfraie, une pub d’enfer. Ceux-ci se trouvent dans les rangs grossissants et  bien-pensants des bobos tout bio et écolos convaincus qui lui adressent à coups de communiqués, tribunes et lettres ouvertes les réponses outrées des bergers à la bergère.

Car, rappelons les faits :  le propos de la philosophe, s’il est parfaitement documenté et argumenté, n’y va pas franchement avec le dos de la cuiller quand il s’agit de désigner nommément ces culpabilisateurs des femmes.  Il y a l’ineffable Edwige Antier,  pédiatre UMP dont le dernier coup est de proposer une loi anti fessée bien embarrassante pour la majorité. Badinter cite abondamment sa prose dégoulinante d’injonctions aux mères de se donner corps et âme à bébé. Refrain que les féministes naturalistes reprennent allègrement, au grand dam de la philosophe.

Aussi, nombreuses sont les réactions hostiles de jeunes femmes qui se revendiquent fermement féministes et clament publiquement leur plaisir de passer six mois, un an à allaiter et à  s’émerveiller des progrès de leurs divins bambins telle Nolwenn Weiler, fondatrice du site alter écolo Basta!.

Idem du côté des politiques, citées en mauvais exemple.  Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts et quatre enfants au compteur prêche en faveur des petits pots bio et des couches lavables. Question cruciale pour laquelle se passionne Nathalie Kosciusko-Morizet lorsqu’alors secrétaire d’état à l’écologie, elle réfléchit à une taxe sur les couches jetables. Moyen selon Badinter d’en rajouter une, de couche, dans les tâches ménagères qui incombent invariablement aux femmes. Réaction immédiate de NKM dans Le Monde : « Elizabeth Badinter se trompe de combat ».

Une fois encore un propos, parce qu’il va à contre-courant du mouvement des foules, est déformé, caricaturé. Parce que les femmes ont d’autres grands combats à mener, on ne peut questionner ces sujets jugés un peu hâtivement triviaux ? Badinter ne condamne pas celles qui choisissent une maternité « ultra », appliquant des principes parfois extrêmes, aux avantages souvent non prouvés et relevant pour la plupart de l’idéologie. Elle revendique au nom de celles qui ne s’en satisfont pas le droit de choisir de faire autrement et de ne pas être culpabilisées. Nuance.

Mélanie Duwat

*Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas, éditions de l’Olivier.


Trois questions à Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF)

Pensez-vous, comme Elizabeth Badinter, qu’on assiste depuis une vingtaine d’années à un retour des femmes au foyer via une sacralisation de la maternité ?

2_172356.jpg« Oui, je préciserais même qu’on assiste à une accélération depuis moins de cinq ans. Le symbole le plus éclatant de ce phénomène est l’affiche du gouvernement pour le grand emprunt. La cause immédiate est la crise sociale qui donne au groupe dominant des moyens de pression sur le groupe dominé. L’émancipation féminine par le travail  d’il y a 35-40 ans a eu lieu dans un contexte économique favorable, pendant les trente glorieuses. Les femmes constituaient une main d’œuvre dont on avait besoin. Actuellement, le temps partiel des femmes ne suffit plus à réguler un marché du travail rétréci. S’il est politiquement incorrect de vouloir le retour des femmes au foyer, il n’est pas très étonnant qu’on s’attaque au biberon ou au petit pot, alliés objectifs du travail des femmes. »

Voyez-vous un lien entre ce mouvement et une politique publique qui soutient de moins en moins le planning familial et l’accès à l’avortement ?

« Indirectement. Même s’il est vrai que l’avortement ayant toujours été le parent pauvre de la médecine, est particulièrement touché par la réforme de l’hôpital et l’application de critères de rentabilité à la santé. Pour se faire une idée, le rapport de rémunération entre une interruption volontaire de grossesse (IVG) et le traitement d’une fausse couche au même stade de la grossesse est de l’ordre de 1 pour 3. Les délais d’attente ne cessent de s’allonger et certains médecins refusent d’appliquer la loi de 2001 et de pratiquer des IVG à 12 semaines. Sans parler de corrélation, je vois une concomitance inquiétante entre ces réformes et un repli sur les valeurs traditionnelles comme la famille ou la religion, comme toujours en temps de crise.»

Êtes-vous témoin dans les centres du MFPF de cette culpabilisation des femmes que décrit Elizabeth Badinter?

« L’avortement est une question encore et toujours culpabilisante pour les femmes. Y avoir recours est vécu comme une catastrophe. Quant à la diabolisation de la pilule par l’écologie radicale, elle n’est pas nouvelle. L’Église catholique s’en inspire même pour criminaliser la contraception ! Notre réponse à ces réticences est simple : la meilleure méthode contraceptive reste celle que l’on a choisie.  Si elle a commis des maladresses en s’attaquant à des personnes, Elizabeth Badinter a le mérite de pointer du doigt  le retour préoccupant de cette éternelle culpabilisation des femmes qui se doivent d’être avant tout des mères et se plier à une norme qui fluctue selon le contexte. Je me méfie, en revanche, toujours de la polémique, rarement progressiste et attend de voir ce qu’il restera de ce débat. »

Propos recueillis par Mélanie Duwat

 

 

          

Publié dans Société

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